La France veut-elle vraiment sortir du glyphosate?

Le 27 Novembre 2017, la France allait à l’encontre de la Commission Européenne et déclarait vouloir interdire le glyphosate d’ici 3 ans. Entre opposition syndicale et considérations politiques -et malgré une forte mobilisation citoyenne-, l’interdiction sur le territoire national de la molécule controversée semble loin d’être acquise.

La surprise fut générale quand, le 27 Novembre dernier, la Commission Européenne décidait de renouveler la licence du glyphosate pour cinq années supplémentaires. De nombreux Etats européens -dont la France- avaient en effet préalablement manifesté leur volonté d’interdire au plus vite la substance active du Roundup classée cancérigène par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Malgré cette décision européenne, la France, via un tweet de l’Elysée, exprima rapidement son désaccord et son intention d’interdire le glyphosate sur le territoire national dans un délai de trois ans.

Rhétorique politique

Néanmoins, la volonté du gouvernement français d’interdire l’herbicide controversé apparaît de moins en moins évidente. Le 28 Janvier 2018, le Ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, expliquait que la France allait « essayer de sortir » du glyphosate dans le délai initialement imparti. Moins d’un mois plus tard, Nicolas Hulot déclarait : « Si […] certains agriculteurs ne sont pas prêts […], on envisagera des exceptions ».

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Stéphane Travert, droit dans ses bottes

La position de la France a ainsi notablement évolué en l’espace de 3 mois. Cela pose question: la volonté politique française d’interdire le glyphosate était-elle avérée? Le tweet présidentiel qui suivit la décision de renouvellement par la Commission Européenne mentionnait ainsi une interdiction du glyphosate « dès que des alternatives aur[aient] été trouvées ». Le projet d’abandon de la molécule brevetée par Monsanto était donc en réalité dès le départ soumis à conditions. La mention d’« éventuelles alternatives » par le président de la République ainsi que les récentes nuances apportées par le gouvernement ont notamment pour but de rassurer une large part des agriculteurs français.

Grogne agricole

En effet, la FNSEA, principal syndicat agricole, a toujours été hostile à l’interdiction de la substance controversée. En visite au Salon de l’Agriculture, Emmanuel Macron a été ouvertement interpellé sur le sujet.

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Startup Nation Vs Roundup Nation

Si le président français n’a pas manqué d’évoquer l’amiante, voulant à tout prix éviter un potentiel scandale sanitaire, la majorité du monde agricole voit les choses sous un autre angle. Pour beaucoup d’agriculteurs français, abandonner le Roundup reviendrait à avantager les producteurs des autres pays européens où l’herbicide serait encore autorisé. Alors qu’il a été élu sur un socle électoral plutôt urbain et CSP+, le Président de la République peut-il se permettre de s’aliéner davantage une part importante du monde rural ?

Enjeux économiques

 Autre enjeu de taille, le maintien des bonnes relations franco-allemandes. Si la Commission Européenne a prolongé l’autorisation du glyphosate, c’est en grande partie dû au revirement de l’Allemagne qui a finalement voté pour. A quel point le rachat en cours de Monsanto -dont le Roundup est le produit phare-  par Bayer a-t-il influencé la décision allemande? En votant contre la prolongation de licence, le gouvernement d’Angela Merkel aurait tiré une balle dans le pied de son géant de l’industrie chimique. A l’heure du Brexit et de la montée du protectionnisme en Europe, la solidité du couple franco-allemand est un élément politique primordial. Une interdiction totale et réelle de l’herbicide en France -premier pays européen en terme de surface de terres agricoles, faut-il le rappeler?- pénaliserait lourdement l’industrie allemande et serait vue d’un mauvais œil à Berlin.

Il apparaît néanmoins difficile pour le gouvernement français de fermer les yeux sur le rejet suscité par le glyphosate chez une majorité de la population. A l’automne dernier, près de 80% des Français estimaient ainsi qu’il fallait interdire le Roundup. A l’échelle européenne, l’opinion publique s’est emparée comme rarement de cette controverse scientifique et une pétition a recueilli 1,5 million de signatures contre la molécule commercialisée par Monsanto. Alors que la controverse scientifique sur la toxicité du glyphosate bat son plein entre l’European Food Safety Authority (EFSA) et l’International Agency for Research on Cancer (IARC), le principe de précaution prévaudra-t-il ? Ou bien se heurtera-t-il à des considérations politico-économiques au risque d’un nouveau scandale sanitaire ? Une seule certitude, la saga autour de la substance active du Roundup est loin d’être terminée.

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